Nature morte ? — 2007

Prix ARCA SWISS, École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles.

La nature morte, si on l’interroge, se met à parler de notre quotidien, imbriquée qu’elle est dans les activités du monde d’aujourd’hui. Banalisée, récupérée, recyclée, la dépouille des bêtes mortes, remise en forme, s’exhibe dans les lieux les plus divers : rats pendus à des pièges dans une vitrine de dératiseur, sanglier affublé de lunettes de plongée dans les toilettes d’un bar, singes figés dans une gestuelle grotesque au musée d’histoire naturelle.

Ces mises en scènes macabres qui cherchent à donner expression à l’inerte, à la forme vide ne sont pas seulement la volonté de l’homme, inquiet de sa propre disparition de conjurer la mort, mais répondent à des préoccupations et appétits bien terrestres : prospérité, force, savoir…Le choix de l’animal présenté dit l’activité de celui qui le montre et s’approprie, ce faisant, sa valeur symbolique.

Les rats, animaux prolifiques, associés à la richesse servent le commerce du dératiseur qui les a disposés dans sa vitrine, à proximité des instruments de leur supplice, comme autant de preuves triomphantes de sa compétence.
Le sanglier, autrefois craint pour sa force et son courage, se trouve relégué dans les toilettes d’un bar, ridicule et humilié, comme un guerrier dont son vainqueur brandirait sa tête coupée.
Les singes, nos lointains cousins, dépossédés de leur malice et de leur intelligence s’exposent grimaçants aux regards curieux des visiteurs.

Dans ces quelques exemples empruntés au quotidien le plus ordinaire, l’animal n’est pas maintenu dans une survie artificielle par respect, affection, dévotion ou par volonté d’hommage à la nature, mais asservi aux besoins de l’homme de s’enrichir, d’afficher sa puissance physique ou intellectuelle. Priver l’animal de sa mort, la décomposition et la disparition finale lui étant interdites, le dépouiller en plus de ses valeurs symboliques pour s’en affubler nourrit le rêve humain d’immortalité, jusqu’à ce que l’illusion de la vie finisse par tomber le masque.